Le cas d’une P.M.E. japonaise récipiendaire du Prix de la Qualité
MUSASHINO, Prix japonais de la Qualité
La connaissance est la force motrice des affaires, elle ne se transmet pas par l’enseignement mais par le ba of chi, ou la communauté de connaissance, que l’on fait exister dans l’entreprise.
L’important n’est pas tant de penser que d’agir pour concrétiser sur le terrain. On ne discute pas de la valeur de la connaissance de l’entreprise, si elle est bonne ou mauvaise. On la met en œuvre et c’est à partir de là qu’on l’éprouve. L’attitude doit être active car on ne peut espérer que les conditions deviennent excellentes ou propices. L’environnement n’attend jamais que l’on soit prêt. Les entreprises qui ne s’harmonisent pas avec les conditions du marché disparaissent. On accompagne le changement tel qu’il se présente, sans discuter. La connaissance de l’entreprise, ses valeurs et son patrimoine intellectuel sont tous investis dans ce sens.
En s’appuyant sur le ba of chi, on accueille les mutations et on s’y adapte en conséquence. Par conservatisme, les employés ne veulent pas changer. Il faut inventer des solutions contre cette tendance naturelle. Ce n’est pas en passant du temps à étudier, comme dans les grandes sociétés, qu’ils évoluent, la solution repose dans une réactivité totale aux changements des circonstances. Il s’agit d’un apprentissage par l’action elle-même. Lorsque le président enjoint aux employés de faire quelque chose, ils s’exécutent ou alors ils quittent la société. Chacun pense ce qu’il veut, a la religion qu’il entend..., les valeurs de l’entreprise ne peuvent être remises en cause et doivent être partagées. Or, celle qui est centrale est la satisfaction des clients à qui nous vendons des balles et pas de fusil. Un fusil n’est vendu qu’une fois alors que les munitions sont toujours nécessaires. Cette image inspire les relations que entretenues avec les clients.
La gestion du savoir maintient l’entreprise au dessus de la ligne de flottaison de ses marchés. Comme PME, Musashino n’a pas le droit à l’erreur comme certaines grandes sociétés japonaises. Pour ne pas disparaître dans une compétition redoutable sans pitié, elle modifie sans cesse son état d’esprit.
Le management book concentre et résume les orientations essentielles de l’entreprise. Parce qu’il n’est guère possible, dans une P.M.E., de recruter des personnes à haut niveau d’instruction et de qualification, tout est détaillé dans ce carnet. Il contient toute l’information sur la société et la met en transparence jusqu’à l’agenda de son président. Consulté quotidiennement, les employés s’y imprègnent de la vision, des valeurs et des objectifs de l’entreprise. Des discussions en groupes se tiennent régulièrement. Il contient des études de cas réels dont les plus instructifs ne viennent pas des succès mais plutôt des échecs. L’apprentissage par l’analyse de l’erreur est excellent et c’est ainsi que le carnet évolue et s’améliore d’année en année. Lorsqu’il contient des erreurs, le président et les employés s’attachent à les corriger.
Il est important de donner les grandes orientations, la vision, et les employés réfléchissent et utilisent leurs connaissances pour réaliser leurs objectifs individuels. La référence majeure est le travail avec les clients. Les employés affichent des mémos (ba of chi) regroupés par critères de proximité thématique et des discussions s’établissent à partir d’eux pour décider des suites à donner et des processus à améliorer. Le consensus est incontournable et les décisions doivent être prises à l’unanimité ! Tant qu’il n’est pas atteint, tout le monde reste dans l’entreprise sans rentrer chez soit. Cela peut prendre jusqu’à cinq journées entières, nuits comprises, avant que l’unanimité devienne effective. Ensuite, le groupe agit comme un seul homme !
Bee-strategy
A la différence de l’araignée qui attend sa proie après avoir tissé sa toile, les abeilles vont chercher le pollen en s’informant les unes les autres sur les destinations et les chemins à suivre.
On en doit pas attendre le client, il faut aller le chercher. Ce n’est pas lui qui va chercher le fournisseur mais l’inverse. A Musashino, les centres de profits sont séparés mais chacun s’efforce de contracter de nouveaux clients et développe de nouveaux services. Les employés apprennent à travers la pratique et s’enseignent les uns les autres. Ils inventent et mettent en œuvre des innovations, notamment dans l’usage des technologies numériques, très utilisées pour tout ce qui concerne les infrastructures et les échanges internes à l’entreprise. Mais, dès que cela concerne les relations stratégiques, soit avec les clients, l’analogique, le contact humain, le face-à-face deviennent irremplaçables. Dans le numérique où il y a toujours de la distance.
Le système des cartes de remerciements (thanks cards) fait vivre la gestion du savoir dans l’entreprise. Chaque employé, du bas en haut de la pyramide, délivre des cartes de remerciement, en interne comme en externe, à toute personne qui contribue à l’amélioration de la situation et des affaires de l’entreprise. Cela peut concerner une observation pertinente par rapport à un client, une manière de faire, une remarque, une suggestion astucieuse, une idée innovante et profitable… En général, ce sont des petites choses, des détails mais dont l’effet quotidien cumulé est porteur d’effet. Les grandes choses se réalisent rarement, les petites sont plus faciles car elles sont à portée de main.
On utilise des bristols de la taille d’une carte de visite mais aussi des cartes postales, des fax, des mails ou encore des SMS… Dans l’entreprise, les groupes au sein desquels circulent beaucoup de cartes de remerciements reçoivent des primes, du bonus à titre collectif mais aussi individuel. Ceux qui distribuent des cartes sont aussi distingués car ils manifestent ainsi l’attention portée aux actions des autres, au développement de l’entreprise et à l’intégration de ses valeurs. Cette sensibilité aux autres tout comme les bonnes suggestions et les bonnes pratiques se traduisent en bonus. Ceux qui ne distribuent pas de cartes sont pénalisés ! Douze mille cartes sont échangées en moyenne chaque année. A Musashino, le patron communique son admiration à un employé lorsque celui-ci a réalisé quelque chose de remarquable qui contribue à l’intérêt de la société.
Le réveil du samouraï. Culture et stratégie japonaise dans la société de la connaissance
"L’important n’est pas tant de penser que d’agir pour concrétiser sur le terrain. On ne discute pas de la valeur de la connaissance de l’entreprise, si elle est bonne ou mauvaise. On la met en œuvre et c’est à partir de là qu’on l’éprouve."
Je dois avouer que la première phrase me laisse perplexe. Dans l'Art de la Guerre, il est écrit : "Récompensez aussi bien ceux qui ont pensés les plans que ceux qui les ont mener à bien." Vôtre phrase est donc maladroite, bien qu'en adéquation avec le "bon sens" français et les expressions françaises. Nonobstant, les deux phrases suivantes suffisent à éclaircir ce point, et je comprends donc bien ce que vous voulez dire.
"L’environnement n’attend jamais que l’on soit prêt. Les entreprises qui ne s’harmonisent pas avec les conditions du marché disparaissent."
Oui, en marketing on parle de veiller sur le marché, sur son évolution. Connaître la situation, la façon dont elle évolue et à évoluée permet d'anticiper comment elle évoluera. C'est l'une des raisons pour lesquelles il est dit que "La Stratégie est la partie divine de l'Art de la Guerre."
"Or, celle qui est centrale est la satisfaction des clients à qui nous vendons des balles et pas de fusil. Un fusil n’est vendu qu’une fois alors que les munitions sont toujours nécessaires."
Je pense que c'est une très bonne comparaison.
"L’apprentissage par l’analyse de l’erreur est excellent et c’est ainsi que le carnet évolue et s’améliore d’année en année. Lorsqu’il contient des erreurs, le président et les employés s’attachent à les corriger."
Je dois avouer qu'il s'agit d'une bonne attitude. Cependant, il faut encore savoir repérer les erreurs en question. Corriger les erreurs est une chose. Mais les identifier sans confusions ou exagération, et fermement de sorte à ce que cela donne naissance à de graves dérives, tout cela en est une autre.
Cao Cao Mengde disait dans ses commentaires sur Sun-zi : "Récompenser le mérite ne doit pas attendre une seule journée." Cette attitude peut certes être excessive en fonction de la situation (car une grande récompense, même si elle est justifiée, peut provoquer à la fois l'ambition excessive et le relâchement, si elle arrive trop tôt, mais ne peut aussi rencontrer rien d'autre que l'amertume si elle arrive trop tard) mais cette méthode a davantage de mérites sur le plan des rapports humains, du moins cela est mon opinion.
"Les employés affichent des mémos (ba of chi) regroupés par critères de proximité thématique et des discussions s’établissent à partir d’eux pour décider des suites à donner et des processus à améliorer."
On reconnaît bien là la gestion méthodique des affaires, imposée par la discipline militaire. Le méthodisme est très efficace, mais elle devient parfois une excuse pour les gens qui manquent de sensibilité, de talent ou d'imagination, voire des trois à la fois.
"A la différence de l’araignée qui attend sa proie après avoir tissé sa toile, les abeilles vont chercher le pollen en s’informant les unes les autres sur les destinations et les chemins à suivre."
Ainsi que sur d'éventuels dangers. L'exemple des abeilles est à juste titre admiré par Napoléon 1er.
"A Musashino, le patron communique son admiration à un employé lorsque celui-ci a réalisé quelque chose de remarquable qui contribue à l’intérêt de la société."
C'est une bonne chose, en adéquation avec les préceptes de Cao Cao. Cependant, il faut aussi prendre garde aux dérives que cela peut engendrer, notamment un phénomène de Cour. Autrefois, en Chine, la littérature et la philosophie était au coeur de l'enseignement scolaire et universitaire. Aussi, les gens instruits savaient s'exprimer avec aisance et raffinement, sans être guindés ou frivoles pour autant.
Ainsi donc, pour ne prendre que des exemples fameux, Liu Bei Xuande dit de Zhou Yu Zilong : "Il est d'une valeur inouïe" en gage d'admiration pour ses exploits militaires et sa quasi-invincibilité. Et l'Empereur Xie de la Dynastie Han dit de Guan Yu Yunchang qu'il était : "le Seigneur à la Belle Barbe" pour le complimenter, car sa barbe était effectivement magnifique. De même, Wang Fei-Hong fût déclaré unanimement par son voisinage de quartier "Homme de Vertu", pour sa grande intégrité, sa bienveillance sincère et sa maîtrise des arts martiaux sans recherche de la violence (il manifesta à de nombreuses reprises sa bonne volonté en coopérant avec les officiels, malgré que son école d'arts martiaux soit assez grande et puissante pour être qualifiée de milice privée). On pourrait aussi cité Zhuge Liang Kongming, surnommé le "Dragon Endormi", et son camarade d'études, le grand Pang Tong Shiyuan était surnommé "le Jeune Phénix", deux surnoms taoïstes attribués par Pang Degong, l'oncle de Shiyuan.
Cependant, dans les exemples cités, ce genre de déclarations avec pompe, destinées à apporter de la gloire, de la notoriété à ceux qui le recevaient, étaient souvent des manifestations d'admirations spontanées, avec un calcul minimes, puisque le seul intérêt n'était pas de satisfaire l'égo d'un homme mais de récompenser par la reconnaissance les mérites d'un homme. Lorsque parfois cela devient un simple faire valoir dans une course à la distinction et à la compétition, c'est très avilissant. On comprend de ce fait pourquoi les anciennes écoles d'arts martiaux interdisaient la compétition entre elles, et pourquoi certaines, et d'autres, notamment le Yagyu Shingan-ryû, sont si secrètes.
Après, quant à savoir si dans le cas de Musashino ils en sont déjà là... Après tout ce sont des marchands. Je n'ais donc aucune certitude que ça ne soit pas le cas, bien que les japonais se comportent de façon plus digne que les français en général.
Rédigé par : Longzi | 01 juin 2011 à 23:13